De la responsabilité pénale des maîtres d’ouvrage et donneurs d’ordre : l’instruction ministérielle du 10 juillet 2025

Actualités sociales

Un tournant dans la politique pénale du travail

 

L’instruction ministérielle conjointe Travail–Justice du 10 juillet 2025 vient redéfinir la manière dont les autorités judiciaires doivent appréhender la répression des manquements aux règles de santé et de sécurité au travail.

 

Jusqu’à présent, la responsabilité pénale se concentrait essentiellement sur l’employeur direct, détenteur de l’obligation générale de sécurité prévue à l’article L.4121-1 du Code du travail.

 

🔹 Nouveauté : l’instruction élargit désormais le spectre des poursuites à d’autres acteurs de la chaîne de prévention :

  • Maîtres d’ouvrage,

  • Donneurs d’ordre,

  • Concepteurs, fabricants de matériels,

  • Organismes de contrôle technique,

  • Et coordonnateurs SPS (Sécurité et Protection de la Santé).

 

Pourquoi cette évolution ?

 

Une réponse à une accidentologie persistante


Le gouvernement a constaté que la seule responsabilisation des employeurs directs était insuffisante pour endiguer cette tendance.

 

Cette instruction vise donc à “décloisonner la prévention” et à rappeler que la sécurité au travail est une responsabilité partagée entre tous les acteurs du processus de production.

 

Une meilleure coordination entre les acteurs publics

 

L’instruction prévoit une coopération accrue entre l’inspection du travail, les parquets et les services d’enquête :

  • recours à la cosaisine (enquête conjointe Inspection du travail / parquet),

  • renforcement des transactions pénales,

  • suivi renforcé des accidents graves et mortels (ATGM).

 

L’objectif affiché est de judiciariser plus rapidement les manquements graves, sans nécessairement attendre la survenue d’un drame.

 

Les implications juridiques pour les maîtres d’ouvrage et donneurs d’ordre

 

Une responsabilité désormais explicite

Les maîtres d’ouvrage et donneurs d’ordre peuvent désormais voir leur responsabilité pénale engagée s’ils ont joué un rôle dans la survenance d’un accident, notamment en matière de :

  • conception défaillante des installations,

  • choix d’équipements non conformes,

  • insuffisance de coordination ou d’information des intervenants.

 

L’article L.4741-1 du Code du travail permet déjà de sanctionner la méconnaissance des règles de sécurité ; l’instruction renforce simplement la politique pénale d’application de ces textes.

 

Le principe de proportionnalité en filigrane

Cette extension de la responsabilité s’inscrit dans une logique de proportionnalité : les poursuites viseront les acteurs ayant une influence directe sur la prévention des risques.
Ainsi, les organismes de contrôle technique ou les coordonnateurs SPS peuvent être concernés lorsqu’ils ont validé des dispositifs non conformes ou négligé leurs obligations de suivi.

 

Les zones d’ombre de l’instruction

Malgré son ambition, l’instruction laisse en suspens plusieurs points essentiels :

  • Les maladies professionnelles et les risques à effet différé (exposition à l’amiante, produits chimiques, etc.) ne sont pas expressément visés.

  • L’articulation entre responsabilité administrative, civile et pénale n’est pas clarifiée.

  • Enfin, le texte n’introduit aucune nouvelle base légale : il oriente simplement la politique de poursuite des parquets.

 

En d’autres termes, le cadre juridique existant reste inchangé, mais son interprétation devient plus rigoureuse et plus large.

 

Ce qu’il faut retenir

 

  • L’instruction du 10 juillet 2025 marque un tournant majeur dans la politique pénale du travail.

  • Elle élargit le champ des acteurs susceptibles d’être poursuivis en cas d’accident grave.

  • Elle incite à une culture collective de la prévention.
     

    Mais elle soulève aussi des incertitudes pratiques, notamment sur les maladies professionnelles et les risques diffus.

 

En conclusion

 

Cette instruction illustre la volonté du gouvernement de répondre plus fermement à l’accidentologie et de responsabiliser les acteurs indirects de la prévention.
 

Elle consacre une approche plus systémique : la sécurité au travail ne dépend plus seulement de l’employeur, mais de toute la chaîne de production et de décision.

 

En attendant de futurs textes législatifs, les maîtres d’ouvrage, donneurs d’ordre et intervenants techniques ont tout intérêt à revoir leurs pratiques de prévention et à bien tracer leurs diligences.